Jean, tu nous manques déjà…
En ce 28 novembre 2015, c’est avec une profonde tristesse que nous avons appris la mort de l’ami de la Revue Souffles, JEAN JOUBERT, à l’âge de 87 ans
lui, « le poète des deux versants » de la condition humaine, ombre et lumière de tout un chacun
lui qui n’avait de cesse de rendre la poésie accessible au plus grand nombre
lui , le poète emblématique de Montpellier auquel nous avions consacré un numéro spécial, réédité en 2012
« ASSEYEZ-VOUS PEUPLE DE LOUPS »
poème lu par Jean Joubert sur la place de la Comédie de Montpellier en soutien aux otages français
Asseyez-vous, peuple de loups, sur les frontières
et négociez la paix des roses, des ruisseaux,
l’aurore partagée.
Que les larmes, les armes s’égarent dans la rouille et la poussière.
Que la haine crachée soit bue par le soleil.
La terre ouvre sa robe de ténèbres,
sa nudité enchante les oiseaux,
le jour se fend comme fille amoureuse.
Sous un ciel ébloui
viennent alors après tant de saccage
les épousailles de la terre et du feu,
le temps des sources,
des naissances.
Après le sang, la traîtrise et le cri,
ah, tant rêvé!
le règne des moissons
pour le bonheur des granges.
À nous qui hébergeons l’aube de la parole
de rassembler le grain,
les mots de l’espérance.
Un jour d’été, l’enfant plonge dans la rivière,
joue avec le soleil
sous le regard apaisé d’une mère,
le héron danse sur son nid de sable,
le renard ouvre des ailes d’ange
et le serpent, le mal aimé, forçat de la poussière,
sauvé, s’étire entre les seins du jour.
« TRAIN DE NUIT »
poème lu par Jean Joubert
PRESENTATION de la poésie de Jean Joubert par Christophe CORP dans le numéro de la revue SOUFFLES
Âpre le soleil au creux des brumes…
Acre ou âpre en son étymologie, le soleil torride de l’écriture de Jean Joubert, tranchant de son âpre aspérité souvent cathartique, ne se déprend jamais des brumes sylvestres de la forêt mythique du Gâtinais de l’enfance.
On y pressent toujours le surgissement d’un faune, lui et sa danse primitive, sarabande à sensations qui osent. Homme primitif est le poète montpelliérain d’adoption et de coeur, qui muni de sa serpe druidique, cueille les archétypes du mythe à sa guise, et en exhume toute la modernité en une fluide présence d’arcanes bus à la source.
Le mythe est toujours en marche en son être (savetier du vent comme l’est tout poète), mythe qui s’épanouit en lui, au zénith solaire des Méditerranées. Les brumes boivent à la source solaire, à la source brumaire les soleils.
La poésie de Jean Joubert est art de la dilatation: elle tient à cet art abouti et profond de dilater le muthos qui parle en lui de façon anaphorique, épique et originellement mythique, telle cette dilatation prodigieuse produite par « le mot lierre sur (la) bouche amoureuse » du verbe « comme une clef charnelle ». La parole infime de ce « dit » du lierre a l’art de se dilater, de parvenir jusqu’à la conscience et permet tous les sauts équestres de l’imagination, ceux métaphoriques qui assurent les transports de l’âme poétique, sauts équestres entre passé et présent, ailleurs et ici, moi et altérité… Sa quête est art de la dilatation autorisant toutes les explorations au laboratoire du muthos, parole en nous qui parle d’on ne sait où, depuis la nuit des temps, la voix incantatoire.
L’art de la dilatation est aussi exploration de « la clef charnelle qui ouvrirait la porte de l’étreinte », exploration sensorielle et érotique de la conscience torride du désir, énergie de vie jaillie d’un ceci ou d’un cela infime, inconnu ou inconscient, d’un nous-même qui ignore beaucoup de lui-même dans la force torrentielle pour ainsi dire passionnelle du surgissement.
L’art de la dilatation parvenu aux confins mythiques de l’incantatoire est une exhortation à la vie et à la grande cueillette des sens, mais aussi un ultimatum de paix asséné d’un coup fatal, ultima verba adressé aux peuples de loups:
« Asseyez-vous, peuples de loups, sur les frontières / et négociez la paix des roses, des ruisseaux, l’aurore partagée. ». Engagement forcené et viscéral aux côtés de forces torrentielles de la vie, vie qui tenait sans cesse de cette part d’ombre prise en compte voire poétiquement jugulée.
Au seuil visuel de cette réédition, augurant de la charge éternelle inhérente à cette poésie (cosmique frisson d’épine dorsale), le visage de Jean Joubert, surpris entre ombre et lumière, à la croisée des deux versants, dans cette photographie de Raphaël Ségura reproduite en première de couverture, est le visage d’un Samouraï en son estampe japonaise, visage augurant toutes les métamorphoses à venir et préfigurant le double du poète en la personne du poète Wang Tchou, remarquable double phonique légèrement déformé de « Jean Jou » surgi dans le récit court au titre de La résurgence , double étrangement chargé d’échos biographiques : « Avec l’âge, le poète Wang Tchou s’était retiré loin du monde dans une humble cabane, sur une colline, au bord du fleuve… »
Christophe Corp