SOUFFLES
À L’ŒUVRE
(1942-2015)
Les Ecrivains Méditerranéens
MONTPELLIER
« Au service de l’esprit … la liberté guidant les mots »
Evocation du patrimoine remarquable de l’une des plus anciennes revues françaises de poésie.
I Les fondateurs: Robert MARTY et Paul BOUGES
« Au service de l’esprit… »
Création de la Revue Souffles de Montpellier: 1942-43
Conçue sous l’Occupation, en 1942 à Montpellier, 11 rue Bourrely (près de la rue d’Alger), la revue est née de la passion et de la détermination de Robert MARTY, poète (cadre de banque) et de son beau-frère Paul BOUGES, peintre et poète.
Véritablement constituée le 30 septembre 1943, la Compagnie des Ecrivains Français voit officiellement le jour, après un an d’existence clandestine, avec l’inscription de l’association au Journal Officiel le 15 octobre 1943.
Robert MARTY choisit d’appeler la revue « Souffles » : Bulletin des Ecrivains Français, avec l’ambition de réunir et soutenir, dans une libre parole, des poètes et leurs amis. Le bouche-à-oreille parti de Montpellier s’étend assez vite au-delà des frontières du Languedoc, et touche toute la France.
Cette préoccupation de liberté qui transparaît dans la devise choisie par ls fondqteurs (« Au service de l’esprit ») doit se comprendre comme une entreprise courageuse en des temps cadenassés où l’écrit était surveillé, voire interdit.
La Revue est alors imprimée sur une petite presse familiale, à la maison ; il en sort un bulletin qui n’est qu’un double feuillet comportant des poèmes (et des nouvelles des uns et des autres !), parfois plus ou moins codés, étant donné l’époque, ainsi que de vibrantes déclarations de défense de la langue française. Il s’agissait donc bien d’une publication engagée, quoique de facture classique et animée par un petit cercle de gens instruits et soucieux de le rester.
11, rue Bourrely à Montpellier
La Revue est l’organe d’une association, dont les membres, tous écrivains, sont élus par cooptation : ceux-ci forment un groupe d’auteurs de poésie qui se réunit amicalement aux solstices d’été et d’hiver, à l’épiphanie et au début de juillet, toujours rue Bourrely à Montpellier. On compte alors environ cinquante membres, venus du Languedoc-Roussillon bien sûr, mais aussi de Paris comme de partout ailleurs en France. Les réunions se déroulent selon un rituel bon enfant, voyant chacun des présents lire un poème avant que ne soit entonné en choeur le traditionnel Canto Occitan du Coupo Santo, en buvant de la blanquette de Limoux. Aux dires d’un témoin de l’époque, la plupart étaient bien des gens du terroir, dotés d’un fort accent local. Cette association, toujours vivante soixante-dix ans plus tard, est enracinée dans l’histoire locale, en vraie fleur du Languedoc !
Entre-temps, l’association a pris le nom de Compagnie des Ecrivains Méditerranéens et des Amis des Lettres, le 28 dècembre 1950, et Souffles s’étoffe. Dans les années cinquante, le simple bulletin est remplacé par un très joli opuscule de cartolines avec jaquette.
Chaque auteur y trouve avec gourmandise son texte sur carte personnelle, indépendante et de très bon goût. Une des caractéristiques permanentes de la Revue Souffles, au fil du temps, fut, à côté de son exigence littéraire, un souci formel d’élégance, de goût dans la présentation. Ceux qui ont pu la juger à travers les âges affirment qu’à aucun moment Souffles ne s’est départie de cette ambition, y répondant toujours – et comme un peu jalousement – avec bonheur. Et c’est pendant des décennies que les deux fondateurs (G. MARTY et R. BOUGES) ont scrupuleusement accompagné, leur vie durant, le destin discret de Souffles.
Au fil des numéros, on a toujours trouvé de très bons auteurs: Blaise CENDRARS, Mohamed DIB, Frédéric Jacques TEMPLE – ce dernier fut d’ailleurs, pendant plusieurs années et à un moment décisif, rédacteur en chef de Souffles.
La Revue, sensible à l’idée de Concours Littéraires, ne décernait d’abord qu’un seul Prix, doté par des mécènes et par le Président de la République (l’histoire ne dit pas lequel …) ; Souffles ne disposait d’ailleurs en ce temps d’aucune subvention, les membres d’alors étant particulièrement sourcilleux au sujet de leur indépendance : il arrivait que chacun mette la main à la poche pour clore un budget.
II Jacques GASC, président de Souffles (1986-2003)
Vint l’époque où ces plaisantes libations poétiques furent systématiquement précédées d’une conférence littéraire, souvent de Jacques GASC, qui devait prendre la succession de Robert MARTY en 1986.
Jacques GASC était un poète solitaire, au flair infaillible ; entré dès l’âge de dix-huit ans à l’Association, il en devient président et directeur de la Revue durant quinze ans, après y avoir occupé toutes les autres fonctions.
Jacques GASC, homme secret, se soucia moins du développement public de la Revue que d’entretenir avec les auteurs des correspondances de nature à favoriser une évolution contemporaine de la langue poétique, et, pédagogue-né, de promouvoir les jeunes auteurs.
Prémisse d’ouverture : on note cependant, dès cette période, la publication de quelques numéros spéciaux ( sur Les poètes du Québec, avec Hélène DORION, sur Les poètes italiens du vingtième siècle avec Frank DUCROS, ou sur Cinq poètes de la Catalogne du Nord avec André VINAS qui devient membre de la revue ).
III Jean-Pierre Védrines, Pésident de Souffles (2003 – 2010)
En 2003, Jean-Pierre VEDRINES succède à Jacques GASC pour devenir, pendant près de huit ans, directeur de la Revue et Président de la Compagnie des Ecrivains Méditerranéens.
Sous sa présidence, le 25 janvier 2003 (JO du 31 mai 2003), l’association a décidé de ne plus se dénommer « Compagnie » et a choisi l’appelation officielle de Les Ecrivains Méditerranéens.
Nous offrant sa précédente expérience de revuiste, Jean-Pierre VEDRINES modernise l’édition, change la couverture (créée par Xavier DEJEAN, poète et alors conservateur du Musée Fabre) et fait montre d’un heureux éclectisme dans le choix des textes.
Les prix littéraires décernés par Souffles s’enrichissent, se diversifient. On retrouve alors parmi ses amis et sympathisants (dans la mouvance de la Revue « Europe ») l’ambition et l’esprit des débuts : l’expression de la parole insoumise.
La Revue connaît alors une certaine extension du lectorat, soutient des publications littéraires de valeur, inaugure la rubrique de l’Invité. La Revue publie alors des numéros spéciaux consacrés à René PONS, à Maurice CHAUVET, à Francis PONGE, à Jean JOUBERT : tout ceci rejaillissant sur la renommée de Souffles.
Toutefois, l’Association, quant à elle, s’essouffle (si l’on peut dire) un peu ; ses membres actifs ont vieilli, voire disparu. Mais on les retrouve, oeuvre accomplie, dans de grandes maisons d’édition (comme Joël BASTARD chez Gallimard), ou devenus à leur tour directeurs de revue.
Chacun aura apporté sa pierre à l’édifice ; à chacun hommage ici est rendu.
IV RENOUVEAU de Souffles: Christophe CORP, président et rédacteur en chef depuis 2010
« La Liberté guidant les mots… »
La refondation vient avec Christophe CORP, actuel président et directeur, qui se fait d’abord connaître de la Revue Souffles comme lauréat d’un prix de poésie en 2007 pour De chair et d’Oc , puis d’un autre pour Bratislava, Stances du Presqu’Il en 2010.
Lui aussi est un produit du terroir: né à Millau en février 1968, année fatidique de la grande bascule, il arrive avec des idées nouvelles, un dynamisme et une détermination à se faire entendre.
Il travaille de concert avec Jannik Rouger du Teil (membre active de la revue Souffles depuis les années 80, revue à laquelle avait largement contribué son père Roger du Teil, dont un prix décerné porta le nom) et Gaston Marty (lauréat d’un prix, vice-président de la revue et ancien professeur de lettres supérieures de Christophe CORP) ayant tous deux occupé les fonctions de rédacteurs adjoints sous la présidence de Jean-Pierre Védrines. Christophe CORP fédère alors autour de lui toute une équipe de poètes et d’artistes nouveaux.
Gaston Marty assure la vice-présidence de la revue jusqu’à ce que, pour des raisons de santé, il doive passer la main à Alain Bonicel qui lui succède.
Jannik Rouger du Teil, secondée par le Comité de lecture et de rédaction, assure aux côtés de Christophe Corp la charge de rédactrice adjointe et de conseillère littéraire, et ce dans un esprit de continuïté et de renouveau permanent. Christophe CORP aime en Jannik Rouger du Teil son futurisme d’avant-garde qui toujours prévaut dans la « vieille garde » de notre association qu’elle incarne de ses forces vives, elle qui sans cesse suscite l’admiration de tous lorqu’elle oeuvre au devenir de chaque numéro et à son architecture depuis l’élection de Christophe CORP, comme sous la présidence de Jacques Gasc et celle de Jean-Pierre Védrines.
La tradition oeuvrant à sa modernité, la revue oeuvre, de l’intérieur, à sa propre réforme en se dotant d’outils collaboratifs électroniques permettant une saisie informatique des numéros tout en parvenant à autofinancer un site contribuant à son rayonnement et à sa diffusion via internet. Un grand bond en avant !
Autant de révolutions en douceur au sein d’un passé de dinosaures poétiques non encore numérisé, depuis le 20 novembre 2010, date à laquelle Christophe CORP est élu président de Souffles, en présence de Jacqueline Baissette, membre de l’association (qui nous a quittés depuis) et veuve du poète Gaston Baissette qui contribua en tant que membre, lui aussi, aux publications de Souffles.
Dialogue des Arts et des lettres
Ainsi, la vague du renouveau opère une véritable refondation qui se manifeste à travers les couvertures de la revue, comme celle de L’arbre à Souffles commémorant par la thématique du souffle poétique les soixante-dix ans de la revue, vague ayant invité la revue Souffles marocaine aujourd’hui disparue à être présente dans ce numéro anniversaire, faisant ainsi se rapprocher les deux rives de la Méditerranée.
Les couvertures de la Revue Souffles (comme celles réalisées par Christian Lacroix pour le numéro L’Oiseau Tram, par Alain Bonicel pour L’arbre à Souffle, Fragments du Quotidien, Résister c’est exister ou par Philippe Amrouche pour le numéro spécial consacré à au poète franco-libanais Salah Stétié) sont une invitation réitéré au dialogue des arts et des lettres.
Un patrimoine poétique accessible au plus grand nombre
A l’occasion du soixante-dixième anniversaire de la revue commémoré à la Mediathèque Centrale Emile Zola de Montpellier devant deux-cents personnes réunies dans l’auditorium, Christophe CORP a demandé à Jannik Rouger du Teil qui oeuvre depuis plus de trente ans aux parutions de Souffles, de consigner la mémoire de ce patrimoine littéraire.
Pour la première fois, le patrimoine revuiste de Souffles est devenu accessible au plus grand nombre et à ses membres actifs : Jannik Rouger du Teil accepte d’en livrer ce qu’elle sait et Christophe CORP souhaitant selon sa propre formule « léguer à notre tour aux générations futures » et à ceux qui viendront après lui; tout ce passé retrouvé est consigné puis publié pour la première fois dans le numéro de L’arbre à Souffles, publication qui servira de base précieuse au présent historique, mémoire toujours vive du Souffles, désormais, en chacun de nous.
Le 7 avril 2015, lors de la présentation du numéro de la revue Souffles Résister c’est exister, à la Médiathèque Emile Zola de Montpellier, Gilles Gudin de Vallerin, son directeur, a annoncé publiquement la numérisation prochaine des premiers numéros de Souffles faisant partie du fonds de la médiathèque centrale de la Métropole.
Dialogue des arts et des Méditerranées
Après avoir invité le souffle dans ses thématiques, la revue a consacré un numéro spécial au poète franco-libanais Salah Stétié, numéro hymne à la Méditerranée, D’Orient et d’Occident, Salah Stétié, sorti en juillet 2014 et présenté au Festival des Voix Vives de Méditerranée en Méditerranée à Sète.
Dans son azur moiré de noir la couverture signée par le peintre Philippe Amrouche (auteur de plusieurs livres d’artistes avec Salah Stétié) dialogue admirablement avec la citation de Salah Stétié, extraite de l’interview réalisée pour ce numéro par Christophe CORP et figurant en quatrième de couverture,:
« Toute Méditerranée si violente fût-elle au départ, est territoire apprêté pour le subtil et caressant dialogue (territoire toujours étroit et convoité, dialogue donc toujours nécessaire), dialogue qui opère d’abord au niveau des éléments – eau, terre, espace ouvert jusqu’à l’horizon, soleil souvent tout feu tout flamme – et c’est là cet échange primordial et archaïque qui fonde la parole de poésie. »
Madeleine ATTAL et Robert ROCCA, présidents d´honneur de la Revue Souffles
Madeleine Attal, comédienne et ancienne directrice de programmes de Radio France Montpellier et Toulouse, grande amie de Christophe CORP, accepte en 2011 de devenir présidente d’honneur de nos publications, au titre de sa passion pour la poésie qu’elle incarne de sa voix qui résonnait sur les ondes montpelliéraines de l’Après-guerre depuis les studios radiophoniques du boulevard Sarrail sur l’Esplanade.
A ses côtés, le sculpteur Robert Rocca, auteur de la sculpture Ombres et lumières ornant le rond-point du Château d’Ô à Montpellier et célébrant les arts du spectacles du Domaine d’Ô sous toutes ses formes , accepte en 2012 de devenir président d´honneur de la revue Souffles, au titre des arts et du dialogue des arts qui oeuvre au renouveau des publications. Lorsqu’en mars 2011, Robert Rocca est fait Chevalier des Arts et des Lettres, Christophe Corp prononcera à la suite du discours de Saumade, ami du sculpteur, un discours-poème intitulé Discours du Chevalier volant, publié dans le numéro 238-239 de la revue, L’Oiseau Tram.
La parole insoumise
Fidèle à la parole insoumise qui anime la revue Souffles depuis sa création, le numéro Résister c’est exister publié en décembre 2014, a ravivé la flamme de l’insoumission, feu de toutes les insurrections.
Sous la présidence de Christophe CORP, la Revue Souffles est soudain animée d’un autre vent, lyrique, audacieux, créatif.
Les rubriques intérieures des numéros thématiques s’affirment et prennent sens et intention, poétiquement renommées sur un mode maritime, celui de la Grande Bleue: Figure de Proue, A la hune, Poèmes en archipel, Archipels de la prose, Ce toit tranquille où marchent les colombes…
« Conjuguons le patrimoine au futur » aime à dire Christophe CORP, qui entend que la tradition elle-même rêve, et continue à faire rêver. Inspiré dans son action par l’aphorisme de René Char extrait de Feuillets d’Hypnos « Notre héritage n’est précédé d’aucun testament », il aime aussi à rappeler cette leçon , celle que lui a appris sa charge d’élu en charge du patrimoine de la ville de Grabels, leçon qui tient en un paradoxe: « Seule l’impermanence peut garantir la permanence en matière de patrimoine. »
D’ailleurs, pour lui, et Souffles désormais, la permanence n’évite la sclérose qu’en marchant résolument au-dessus et au-devant du vide de l’impermanence.
Et comme l’audace n’aime que ceux qui s’y résolvent, la Revue s’ouvre à de multiples défis :
le défi d’un extra-muros, choisissant d’inscrire ses manifestations littéraires sous l’égide d’un titre prometteur : La liberté guidant les mots) et consignant la mémoire des manifestations dans une rubrique créée à cet effet et intitulée Poésie dans la Cité
le défi de l’image, accompagnement plastique abouti des textes et des pensées, jusqu’à officialiser un dialogue des Arts dans la revue même
le défi d’épouser son temps et de durer en lui
en ne craignant plus ni les contraintes et complexités du monde public ni la rencontre de remarquables partenariats, fruits d’actions concertées avec la ville de Grabels où vécut Joseph Delteil, avec la ville de Montpellier via la Médiathèque Centrale Emile Zola…
en sollicitant les relais socio-politiques bienvenus, des artistes de renom comme Christian Lacroix, Catherine Frot (interview filmée le 2 février 2014 et publiée dans la revue), Salah Stétié (à l’occasion du numéro spécial que Souffles lui a consacré en 2014)
en contribuant à réaliser selon la formule de Christophe CORP « l’alchimie du poétique et du politique » et ce, en ressuscitant quelque chose de Delteil à Grabels autour de sa demeure de La Deltheillerie, ou en inaugurant une place Pablo Neruda à Grabels en 2013, quarante ans après la disparition du poète chilien
en adoubant la vie quotidienne comme thème unique du numéro qui vient, en consacrant par exemple un numéro entier au merveilleux tram de Montpellier, à l’occasion de l’inauguration des lignes 3 et 4 habillées par Christian Lacroix
… mais tout cela, sans trahir jamais l’idéal premier : l’amour et la défense de la poésie … du meilleur d’un langage remariant le monde à lui-même, pour y chanter quelque chose de notre attention parfaite.
Point d’aboutissement des vertus associatives d’un Souffles renouvelé, le 24 mai 2014, les membres de l’association décident pour plus de lisibilité médiatique de nommer leur structure du nom de Revue Souffles, suivi et non plus précédé de Les Ecrivains Méditerranéens.
La rare longévité de cette publication est l’étonnant cadeau d’une sève sans cesse renouvelée, qu’il faut mériter.
Mais rien de tout cela ne serait possible…
sans l’adhésion de l’équipe, sans l’étroite et attentive concertation avec les collectivités territoriales qui nous soutiennent
sans surtout la collaboration toujours bénévole et splendide des artistes (écrivains et plasticiens) à la passion qui nous anime !
La vibrante mémoire de Jannik-Rouger du Teil (rédactrice adjointe et mémoire vive de notre association) a permis de constituer cet « historique » de Souffles. Sa mémoire continue à irriguer magnifiquement la chair de toutes nos pages.
V Gaston Marty
« Souffles: une invitation à voyager »
Les grands vents si chers à Saint-John Perse ont construit en autorité cette magnifique Revue dont le titre pluriel est garant de variété, d’éclectisme, même si la poésie couronne de palmes son front.
Honneur et justesse, accueil amical, le souffle façonne l’Histoire, et réciproquement. Diverses acceptions du terme ponctuent le parcours de notre esprit et notre corps. Premier ou dernier, modulé ou susurrant, le souffle respire la haine ou l’amour à qui il insuffle la précipitation : une enjambée pour suivre ou rattraper en désir. Il éteint le feu et s’active sur les antiques braises, les rallume pour une veillée hypnotique, tandis que le vent du Nord s’obstine dans la nuit et tôt le matin : splendeur et effroi du loup et apaisement de la brise quand la brûlure de l’été. A perte de vue, il faut célébrer ce souffle. Nous admirons certes Baudelaire quand il déclare : « Je hais le mouvement qui déplace les lignes ». Mais nous nous réjouissons de l’effervescence des projets et des réalisations, que les textes produits soient le fait d’adhérents ou apports extérieurs, devenus des amis. D’un jour ou de toujours, étant entendu que les pépites sont appréciées au même titre que les récompenses.
Souffles est une invitation à voyager, sur les navires de l’intelligence et ceux du vent bien sûr. Gober le vent, quel régal surtout s’il nous amène à écarter des étangs saumâtres les massettes ou à étouffer sur les plages du côté des pilotis.
Souffles a connu quelques drames majeurs, il est vrai, mais a conscience de sa pérennité, ou, du moins, de son rôle d’union au rythme des saisons et ses activités ont « in fine » la rigueur et la liberté qui ont emprunté au battement des acteurs acharnés à sa survie. Des margelles et des rebords pour savourer le goût puissant ou la subtile ivresse qui font loi ; à consommer avec fruition. Fi de la démagogie et la facilité, Souffles est traité avec la majesté qui lui est due, approche délicate, et audacieuse ; les nuages l’accompagnent aussi, monde qui sait où se trouvent la dérive et la pulsion, pour repartir. Quelques rubriques récentes le prouvent : « A la hune », « Fleur de sel ». La beauté s’infiltre dans nos narines, à l’affût. On a beau faire semblant, le mouvement nous appelle à voguer. Un cheval hennissant au galop, contre qui s’appuyer amoureusement. Merci aux bâtisseurs de ce donjon fouetté de vents vivifiants.
Sinon la caution, du moins la confiance s’est déposée, au cours de laquelle la Poésie a humé ce souffle renouvelé. « Quelqu’un a éteint la lampe autour de laquelle nous étions une famille heureuse à la nuit, lorsque mon père avait accroché les volets ». Voilà un petit paradoxe : Meaulnes a soufflé, éteint la bougie, car le souffle est un éveilleur. Il dérange, telle est sa vocation.
Proust, immense géniteur de sensations, respirait ces fleurs que le moindre air défait, les formes ne lui suffisaient pas à rattraper, retrouver le temps, l’esprit du verger et de la haie, délire qui écarquille, compose et recompose.
Le souffle est une quintessence, un suc, repoussoir des petitesses, ampleur des contrastes en communication avec le monde créé, donné à voir et à vivre, goûté dans sa crudité conquérante. Il ne faut pas le craindre, mais aimer encore, toujours : entier de l’immersion dans un baptême universel.
Extrait de L’arbre à Souffles, numéro 240 – 241, printemps 2013
Christophe Corp
« Peau neuve et nouveau Souffles »…
Editorial du Nº 232-233 (mars 2011), premier numéro de Souffles dirigé par Christophe Corp
Lorsque l’écart s’impose comme une vérité poétique (défini par Gérard Genette comme l’essence même de la poésie), alors la norme vole en éclats. Les titres normatifs qui naguère prévalurent, matière qui perdure – héritage précédé d’aucun testament – en une manière nouvelle se sont rêvés.
Lorsque la revue Souffles, en cette année 2011 – nouveaux caps sur les Méditerranées, nouveaux seuils, à l’occasion de ce numéro consacré au corps dans tous ses états – a tenu à faire peau neuve; alors, au coin de rue de la surprise – « en la esquina de la sorpresa » préconisée par García Lorca – un nouveau Souffles est né, privilège de la chevauchée équestre de la poésie sur l’empire de la raison.
Dans notre renouveau, il s’est agi de ponctuer la trame poétique de respirations visuelles, telles des fenêtres ouvrant sur des horizons chromatiques et artistiques, marquant ainsi de leurs jalons les différents seuils de la revue que constituent les titres rénovés.
La partie consacrée à l’invité – héritage préservé a été, quant à elle, renommée « A te regarder ils s’habitueront… » .
Telle une mue au seuil des possibles… le serpent intérieur des titres déroule ses anneaux et renomme – tel anaconda surgi de la grande bleue médusée – l’héritage méditerranéen de la revue qui perdure, impermanence assurant la permanence.
Ainsi la rubrique « Textes » se mue-t-elle en Archipels, qui eux-mêmes se scindent en « Poèmes en archipel » et leur reflet en chiasme « Archipels de la prose », tous deux précédés d’une « Figure de proue », texte sélectionné et ouvrant le sillage de la traversée thématique.
S’immisce ensuite l’opportunité de quelques pages éternelles sous l’égide de Paul Valéry et son invitation à l’éternité sans la nommer : « Ce toit tranquille où marchent des colombes… », vers mémorable élevé au rang de titre.
Sur la page bleue de la poésie, archipels ou toit tranquille, le tutoiement fait irruption : « A te regarder ils s’habitueront… », vers fameux de René Char faisant place au très académique titre désormais désuet de « L’invité »
Sur la page bleue de la poésie, s’ouvre ensuite une « Fenêtre sur Art », privilégiant le dialogue des arts – Ut pictura poesis comme l’écrivit Horace dans son Art poétique – dialogue ouvrant en guise de mise en abyme, une fenêtre dans la fenêtre poétique de la revue et sa couverture
L’ailleurs poétique que constitue l’ouverture de la revue (précieuse innovation en son temps) aux poètes étrangers, naguère intitulé « Poésie du monde », a décidé de faire peau neuve en revêtant le titre d’« Ailleurs est ici », titre de facture plus universelle et moins galvaudée, emprunté à un recueil inédit de Gaston Marty.
Enfin, le travail de la vague marine qui érode la matière poétique, nous gratifie régulièrement de « Fleur de sel » échouée sur la page de la revue, quintessence de recensions sur l’actualité littéraire à partager, écume poétique du moment et saveur d’exotisme.
Car sans le sel de la vague poétique – brisure de l’empire de la raison – la vie n’aurait saveur.
Telle cette colonne « torse » marquant le passage d’un maître sculpteur à un autre lors de la construction du monastère roman de Santo Domingo de Silos au sud de Burgos…
Que ce nouveau Souffles marque un tournant dans l’héritage de la revue.
Voir: Souffle poétique du Languedoc depuis 1942…