Thème du prochain numéro

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Chers poètes, auteurs et artistes,
 
Le PROCHAIN NUMÉRO de la revue SOUFFLES aura pour thème :

 
« LE GRAND THÉÂTRE DU MONDE »

 
Les frontières entre poésie et théâtre étant ô combien poreuses, ce qui a fait dire au poète dramaturge Federico García Lorca que « le théâtre, c’est la poésie qui se lève du livre et devient humaine », nous vous invitons à célébrer poétiquement le théâtre sous toutes ses formes et à explorer à votre guise toute la matière théâtrale que le Réel recèle.   
 
Une matière qui s’offre à nous à même le monde, un monde tenant lieu de théâtre premier que « l’Auteur » évoque, dès les premières répliques de la pièce de Calderón, ayant pour titre – précisément ! – Le grand théâtre du monde : un théâtre de la Création, des phénomènes naturels, découvrant son architecture cosmique propice au « mystère » allégorique qui va s’ensuivre. Un drame à portée existentielle préfigurant les interrogations et les angoisses métaphysiques de l’homme moderne, mais aussi le questionnement de tout l’artiste face à la création :
 

« Grandiose ordonnance de l’architecture
terrestre aux multiples aspects
Vaste champ d’éléments,
de monts et d’éclairs,
d’océans et de vents … »

 
Nous vous invitons donc à célébrer l’appel cosmique du grand spectacle de l’univers en son devenir, ses forces primordiales, son chaos, préfiguration d’ordres nouveaux…
 
Car le monde est théâtre et le théâtre monde, ainsi que nous l’enseigne l’esthétique baroque, propice à toutes les réversibilités et dont la leçon est toujours celle du relativisme universel et de la grande vanité des choses. Theatrum mundi déjà cher à Epictète, que Shakespeare magnifie et met en lumière, lorsqu’il fait dire à l’un de ses personnages, porte-parole « éclairé » de ses propres convictions :
 
« Je tiens ce monde pour ce qu’il est : un théâtre où chacun doit jouer son rôle. »
 
En cela, le dramaturge anglais nous rappelle, si besoin était, l’essence même de cet espace scénique peuplé de dramatis personae, ces « masques de l’action » qui n’ont de cesse d’« envisager » les jeux de l’illusion et ceux de la désillusion. Moment capital que celui de la désillusion ; moment paroxystique du fameux « desengaño » qui n’est autre que la reprise ibérique de l’antique « catastrophe », cette strophe dite de la chute ayant valeur de dénouement, strophe des masques qui tombent et de cette vérité qui crève les yeux.
 
Une matière théâtrale qui s’offre à nous aussi, à même le quotidien de nos vies, dans les théâtres en miniature des microcosmes sociaux que l’on côtoie, autant que dans le macrocosme d’une scène mondiale peuplée de marionnettes grotesques rêvant de tenir le globe terrestre entre leurs mains, se jouant de tout ou presque, de la politique et de nous, « frères humains » d’une planète malade. À l’instar de cet Ubu trumpien ayant troqué « sa chandelle verte » pour une houppette à rouquin ou pour une mécanique à tweets plaquée sur du vivant, caricature bien réelle de cynique et sinistre fantoche toujours enclin à faire de la « politique » le prochain théâtre d’opérations militaires où l’arme nucléaire a remplacé le fameux « crochet à nobles »…
 
Ainsi l’Ubu du XXIe siècle quel qu’il soit, d’ici ou d’ailleurs, à l’image de l’Ubu primitif créé par ce génial potache pré-dada d’Alfred Jarry, joue tour à tour les Tartuffe et les Macbeth. Il joue l’Amour, l’Amitié, la Vérité… et bien souvent la Vie, à la roulette des faux-semblants et des apparences trompeuses (trumpeuses ?), histoire de donner libre cours à son Désir le plus fou, le plus monstrueux… Car comme l’actuel directeur du Festival d’Avignon, Olivier Py, nous le rappelle :

 
« Le théâtre est l’érection du phallus universel.
Au commencement était le théâtre et le théâtre était désir. »

 
Ainsi, que vos contributions explorent le plus librement du monde tous ces théâtres intérieurs de l’être, où le fantasme règne et rêve en maître. Dans la grande « Comédie humaine » des animaux sociaux de nous-mêmes, la « bête de scène » que nous sommes renoue sans cesse avec une théâtralité de l’intime, où Thanatos pourchasse toujours autant Eros et vice-versa : un monde visible décelant son invisible, y enfantant ce « théâtre de la cruauté » dont le poète Antonin Artaud a exalté toute l’ubris créatrice et féconde, théâtre destiné à régénérer l’art dramatique, afin de lui éviter la pâle destinée des mouroirs des trop plein à psychologisme.
 
Puisez donc aux sources primitives du théâtre les formes variées de vos contributions poétiques, et que votre nouvel Ubu poétique boive à la fontaine de son Œdipe ou de son Thyeste, une fois lâchée la meute des passions humaines ainsi que Sénèque nous y invite, à l’image de son Atrée assoiffé de vengeance, faisant manger la chair et boire le sang de ses enfants à son frère Thyeste. Un Atrée interprété par le truculent Thomas Jolly, dans la Cour d’honneur du Palais des Papes d’Avignon en 2018, un Atrée en costume jaune canari et couronne vert fluo, dont le crime odieux du cannibalisme détruisit à jamais l’ordre du monde. Vertu de l’agôn cathartique explorant l’angoisse existentielle de l’interdit, la spirale du mal, les tréfonds de l’âme humaine.
 
Poésie du verbe incarné oblige, n’oubliez pas non plus, dans la perspective de ce prochain numéro consacré au theatrum mundi, de faire trisser et grincer les mots, ainsi que le poète Antonin Artaud nous y exhorte, en proposant cette belle définition – ô combien poétique – du sixième art, que nous ne résistons pas à l’envie de citer ici en guise d’épilogue à notre appel à textes :

 
« Ce qui est vraiment le théâtre, c’est de faire trisser le son
jusqu’à ce que la fibre de la vie grince. »

 
Que trisse le son et que grince la fibre !

Fibre scénique de ces forêts de mots qui arrivent en avalanche, langage dynamite cueilli au bord hominien de l’abîme de notre condition, mots inventés ou pas, détournés ou réinventés, crochus, fourchus, tordus… comme dans Le vivier des noms de Valère Novarina, lorsque « il est l’heure du désoubli ».

Fibre scénique d’un verbe incarné, puis désincarné voire démembré en personnages follement devenus syllabes, ou tout simplement consonnes ou voyelles, à la fin de La cantatrice chauve de Ionesco, quand « le pape dérape », que les Martin et les Smith se muent en « espèces de glouglouteurs, espèces de glouglouteuses ».

Célébrez donc, une fois frappés les trois coups, au gré comique, pantomimique-burlesque façon Commedia dell’arte, héroïcomique, tragicomique, tragique, tragico-absurde, ubuesque, carnavalesque, pataphysique…, sous la forme poétique ou scénique la plus libre qui soit, la magie du spectacle vivant, et pensez à nous envoyer vos contributions (texte ou iconographie), au plus tard, le 11 NOVEMBRE 2019.
 


 Date limite d’envoi des textes : 11 novembre 2019

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